De nombreux chemins peuvent nous mener à la découverte de l’œuvre d’Emmi Pikler… et sa biographie en fait indubitablement partie ! Que l’on soit un éducateur à la recherche de méthodes ayant fait leurs preuves dans l’épanouissement des tout petits, un parent en quête d’informations sur les bonnes habitudes d’éducation ou encore un pédiatre intéressé par les méthodes de soins alternatives, la vie et l’œuvre d’Emmi Pikler, célèbre pédiatre, éducatrice et auteure hongroise du 20e siècle sont des mines d’or à explorer sans modération.

Cette pionnière de la « motricité libre » chez l’enfant âgé de moins de trois ans nous a montré l’importance suprême de la relation enfant – adulte pour le développement sain du nourrisson, que nous appelons aujourd’hui « l’attachement ». Pikler a tracé les grandes lignes du développement moteur naturel de l’enfant (ce qui donna lieu à l’utilisation du triangle de Pikler) et a documenté ces modèles de développement naturels et universels grâce à des décennies de recherches approfondies et d’expérience sur le terrain par son travail médical avec les familles puis d’éducatrice dans l’institut de Loczy qui s’occupait des enfants abandonnés à Budapest, capitale hongroise.

La formation et l’orientation pédagogique qu’elle a conçues pour les adultes ont offert une nouvelle façon d’élever et d’accompagner les enfants dans le long chemin du développement personnel et de l’épanouissement, d’une manière bienveillante et respectueuse, à mille lieues de l’ordre, de l’injonction et des interventions intempestives prônées par la littérature spécialisée de l’époque. Les idées d’Emmi Pikler ont largement fait leurs preuves au sein de la famille et dans les institutions pour enfants, tant pour les bébés que pour les enfants d’âge moyen.

Mais ce qui est peut-être le plus intéressant, c’est que ces idées se sont formées dans les années 1920 et ont été mises en pratique pour la première fois avec beaucoup de succès dans les années 1930… soit il y a près d’un siècle, dans un contexte marqué par les deux guerres mondiales, la pauvreté et un certain antisémitisme dans l’Europe de l’est… car Emmi Pikler était juive, un détail qui a son importance car elle a été interdite d’exercer à l’hôpital public de Budapest malgré ses compétences et son expérience.

Emmi Pikler : bref aperçu de la vie de la pionnière de Loczy

Née en 1902 à Budapest, Emmi Pikler a suivi une scolarité sans histoire pour ensuite se lancer dans des études de médecine dans les années 1920 à Vienne, capitale autrichienne, à une époque où de nombreuses nouvelles idées sur la psychologie émergent dans ce que l’on appelle « La révolution du soin » par opposition aux approches fondées sur le diagnostic.

C’est notamment à cette époque que le lien entre les soins prodigués dans l’enfance et la santé mentale de l’adolescent et du jeune adulte a été établi par les pédopsychiatres et les chercheurs spécialisés dans la petite enfance. Emmi Pikler a observé comment les parents et les professionnels de l’éducation s’occupaient habituellement des jeunes enfants, les faisant s’asseoir, se lever et marcher avant qu’ils ne soient prêts, et effectuant des soins « pour » plutôt qu’ « avec » les enfants, dans une approche d’assistanat plutôt que d’accompagnement, privilégiant l’enfant « exécutant » plutôt que l’enfant « maître à bord ».

Lorsque la propre fille d’Emmi Pikler, Anna, est née, les parents lui ont donné la liberté de développer ses capacités motrices à son propre rythme, se contentant de lui garantir un environnement sain, sûr et stimulant. Emmi Pikler a également appliqué les principes qu’elle avait appris lors de sa formation médicale à Vienne. Elle était persuadé qu’il fallait accorder une attention particulière à tous les aspects des soins de son enfant, en construisant une relation authentique, respectueuse et bienveillant, sans pour autant tomber dans le piège de l’interventionnisme à outrance qui nuisait au développement et à l’épanouissement de l’enfant.

Les résultats ont été si convaincants qu’Emmi Pikler a appliqué ces mêmes principes, en tant que pédiatre de famille à Budapest, aux enfants des familles qui venaient la voir. C’est à partir de ce moment-là d’ailleurs qu’elle engrangera une notoriété importante dans toute la ville.

Après la Seconde Guerre mondiale, le docteur Emmi Pikler a fondé un orphelinat à Budapest pour les jeunes enfants abandonnés, dont certains avaient vécu plusieurs jours dans les rues de la capitale hongroise, bravant le froid et la pluie. C’est un détail qui a son importance, car Pikler démontrera qu’en dépit des conditions difficiles qu’on vécues certains enfants avant de rejoindre l’institut Pikler, les enfants qu’elle a eu sous son aile affichait un taux d’hospitalisme de 0 %.

Au fil des ans, Emmi Pikler a prouvé que les enfants d’un foyer pouvaient s’épanouir physiquement et psychologiquement en utilisant l’approche qu’elle avait développée avec des familles « ordinaires », dont les enfants n’avaient pas été abandonnés. Une formation minutieuse des infirmières, le développement de la méthodologie et des recherches méticuleuses ont été menés pendant des décennies, avec l’aide de plusieurs professionnels de santé européens. L’approche Emmi Pikler, également appelée « méthode Loczy » en référence au nom de la pouponnière dans laquelle officiait Emmi Pikler, a été couronnée de succès : les enfants de l’Institut étaient actifs, en bonne santé, curieux et intelligents.

La réputation de l’Institut s’est développée au niveau international. Des documentaires vidéo, des livres sur la méthode Pikler et des publications scientifiques ont commencé à se répandre un peu partout sur le Vieux Continent. Des programmes de formation pour les étudiants étrangers ont été mis en place à mesure que l’influence de l’Institut s’étendait au monde entier.

Magda Gerber, qui travaillait dans le cabinet du docteur Pikler avant d’être embauchée par cette dernière en tant qu’assistante à Loczy, s’est expatriée aux États-Unis pour lancer son association : « Ressources pour les éducateurs de nourrissons » (RIE). En Allemagne, l’approche d’Emmi Pikler développée à Loczy a été intégrée à la méthode Steiner, très courante dans les crèches et les garderies. Emmi Pikler est morte en 1984. Depuis 1992, sa fille Anna Tardos occupe le poste de directrice de l’Institut Pikler.

Emmi Pikler s’étonne des statistiques sur les accidents des enfants

Pendant ses études de médecine à Vienne, Emmi Pikler remarque dans les statistiques des accidents publiées par le gouvernement autrichien qu’il y avait moins de fractures et de commotions chez les enfants des familles des classes défavorisées. Ces enfants jouent dans la rue, contrairement à ceux des classes aisées qui étaient sous la surveillance et la garde permanentes d’une gouvernante.

Pour Emmi, les enfants qui jouissent de la liberté de vagabonder, de courir et de jouer où ils veulent sont plus alertes, plus vigoureux et plus aptes à « bien tomber », sans se blesser ou du moins, en évitant les blessures graves par un réflexe de survie. En comparaison, les enfants des familles aisées étaient surprotégés, leurs mouvements étaient limités, voire gauches et maladroits, et ils ne connaissaient pas leurs propres capacités ou limites physiques.

En examinant de plus près la manière dont les enfants étaient élevés d’un point de vue physique, Emmi a constaté que tous les enfants, quelle que soit leur classe sociale, étaient assistés. On leur intimait de s’asseoir, de se lever, de se coucher, de marcher… Emmi Pikler a cependant constaté que les familles aisées passaient plus de temps à entraîner et à exercer « manuellement » les membres de leurs bébés afin d’encourager leur développement physique.

Emmi Pikler et les deux tournants de l’année 1931

En 1931, Emmi et son mari György accueillent leur premier enfant, Anna. Ensemble, ils décident de faire tout leur possible pour éduquer leur petite fille sans forcer, en la laissant grandir à son propre rythme, sans pression et sans interventionnisme exacerbé.

Les époux Pikler décident donc de ne pas « soutenir » Anna pour la faire asseoir, de ne pas lui servir de « béquille » pour qu’elle marche, à moins qu’elle n’en fasse la demande. Au contraire, ils lui laissent de l’espace et du temps pour que son développement physique se déroule naturellement grâce à la liberté de mouvement et au jeu indépendant, sur la base d’une relation portée par la bienveillance, la gentillesse et le respect de la volonté propre de l’enfant.

Emmi Pikler a toujours douté que les nourrissons aient besoin de l’intervention et de la stimulation des adultes. Elle ne pensait pas non plus que l’intervention des adultes accélère le développement de l’enfant. En supposant que le développement se fasse plus rapidement, elle doutait que les effets sur la vie et le développement global de l’enfant soient opportuns.

Naturellement, Pikler n’aurait jamais entrepris cette « expérience » si elle n’avait pas été convaincue de la validité de son hypothèse. Elle était persuadé que l’enfant devait être autorisé à explorer le monde à son propre rythme pour apprendre à s’asseoir, à se tenir debout, à marcher, à parler et à penser.

Cette même année (1931), la petite famille Pikler s’installe à Trieste, en Italie, pour un an. En passant du temps sur les plages de Trieste, Emmi Pikler s’emploie à observer les parents italiens avec leurs enfants. Elle remarqué que les parents s’entêtent à apprendre à leurs enfants à s’asseoir, à se lever et à marcher avant qu’ils ne puissent le faire eux-mêmes.

Tirant les leçons de ces observations, elle a également commencé à établir un lien entre le physique et le mental, point central de la pédagogie Pikler. Elle pose la question suivante : « Est-il judicieux de montrer à l’enfant que ce qu’il fait est inutile et qu’il ferait mieux de faire, quand bien même il n’en serait pas encore capable ? ».

Le docteur Emmi Pikler et la rue Loczy, à Budapest

En 1946, après la guerre, Emmi Pikler a été chargée par les autorités locales de créer une crèche résidentielle à Budapest. Cette crèche accueillerait les bébés que la guerre avait enfantés. Emmi sera épaulée par Márika Reinitz, une ancienne collègue. Ensemble, elles créeront un environnement propice au développement sain des enfants placés en institution.

Après des débuts insatisfaisants avec des infirmières formées qu’elles ont ensuite licenciées, Emmi et Marika lancent des entretiens qu’elles supervisent personnellement pour sélectionner le nouveau personnel de la pouponnière. Elles créeront même leur propre programme de formation et les matériaux nécessaires pour former le personnel à une « nouvelle façon de faire ».

La pouponnière résidentielle de Loczy a été installée dans une grande maison avec un grand jardin. Bien qu’il y ait eu de nombreux changements du nom au fil des ans, l’endroit a toujours été affectueusement appelé « Lóczy », du nom de la rue qui l’accueillait. Plus de 2 000 enfants ont vécu à Loczy à un moment ou à un autre, la plupart âgés de 0 à 3 ans. Certains sont restés plus longtemps, parfois même jusqu’à l’âge de 7 ans. De nombreux documentaires vidéo sur la méthode Pikler ont immortalisé la vie dans l’institut.

L’équipe pédagogique qui a fait les beaux jours de Loczy a joué un rôle décisif dans la mise en œuvre et le développement des idées et de l’approche du docteur Emmi Pikler. Le cadre de l’orphelinat a permis à Emmi de consolider ses idées et l’expérience qu’elle avait acquise en travaillant avec les familles, et de les mettre en œuvre à plus grande échelle dans un cadre différent.

On dit que l’objectif de Pikler était de créer une institution où les occupants ne seraient pas « institutionnalisés » ou « conditionnés ». Ce nouvel environnement offrait des conditions de recherche contrôlées, permettant à Loczy de devenir l’application grandeur nature de plusieurs décennies de recherches validées. Les résultats illustrent la manière dont l’attachement influence le développement somatique, moteur et mental, la séquence naturelle du développement du nourrisson et le jeu perpétuel et ininterrompu mené par l’enfant, pour peu qu’il ne soit pas interrompu.

  • Le développement mental : des études ont été menées sur les enfants qui vivaient à Loczy afin de documenter la méthode Pikler. Une étude marquante, financée par l’Organisation mondiale de la santé dans les années 1960 et 1970, a documenté ‘adaptation sociale des enfants élevés à l’Institut Pikler ;
  • Le développement moteur du nourrisson : alors que Pikler avait déjà établi le schéma séquentiel du développement dans les années 1930 et 1940 dans les conditions contrôlées de Loczy, elle a pu montrer le déroulement naturel du développement moteur chez le nourrisson, car tous les enfants étaient accompagnés physiquement et émotionnellement de la même manière. Le travail unique de Pikler a permis aux professionnels d’élargir leurs connaissances et leur compréhension du développement moteur des nourrissons et des jeunes enfants et continue d’alimenter la recherche encore aujourd’hui. De nombreux scientifiques émérites et reconnus font référence aux travaux et aux recherches du docteur Pikler sur le développement moteur naturel du nourrisson ;
  • Le jeu interrompu : le jeu fait partie intégrante du développement de l’enfant et Loczy a pu fournir toutes les conditions nécessaires à un jeu sain et autonome. Le développement naturel dans le jeu a été documenté de manière très détaillée, à la fois pour les nourrissons que pour les enfants un peu plus âgés. L’Institut Pikler a produit des documents qui reprennent certaines de ces recherches détaillées, comme par exemple le livre « Les origines du jeu libre » d’Éva Kálló et Györgyi Balog et le DVD « L’attention du bébé au jeu » d’Anna Tardos et Geneviève Appell.

L’héritage d’Emmi Pikler aujourd’hui

Loczy continue d’être le « Quartier général » du travail du docteur Emmi Pikler aujourd’hui, puisque l’Institut accueille des groupes parents – enfants et des professionnels hautement qualifiés qui dispensent la formation Pikler et forment des éducateurs. Depuis la mort d’Emmi Pikler en 1984, l’équipe de Loczy a poursuivi avec diligence le travail de cette pionnière en gardant intact le cœur de son approche.

Des formateurs de tous les horizons ont été attirés par le travail de Pikler, et de nombreux professionnels de santé ont suivi une formation à Loczy. Des organisations Pikler officielles ont vu le jour dans le monde entier, rendant son approche accessible à des millions de familles. L’approche d’Emmi Pikler continue d’inspirer dans les garderies, les pouponnières, les crèches mais aussi dans les maisons.

Ceux qui ont appréhendé et appliqué les idées du docteur Emmi Pikler aboutissent généralement à des relations de travail pacifiques et coopératives avec les enfants, avec des taux de maladie extrêmement bas dans les établissements de soins, une vie familiale harmonieuse pour des enfants sains, actifs et épanouis.

La méthode Pikler a cela d’étonnant qu’elle traverse les cultures, les pays et les âges. L’application de l’image respectueuse et affectueuse du bébé d’Emmi Pikler a aidé les nourrissons à bien se développer et les adultes à modifier leurs représentations internes des capacités de l’enfant.

Alors que l’héritage du docteur Emmi Pikler continue de se répandre, de se développer et de s’ancrer profondément dans la culture et la puériculture, la question d’une intégration plus prononcée de cette pédagogie qui a fait ses preuves dans le monde médical se pose avec force.

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